“Ethno-fiction“
Interview de J. Nicogossian par Emilie Villeneuve (journaliste)
Décembre 2018
Biographie
Judith Nicogossian est anthropobiologiste, anthropologue de la santé, du commerce (Paris-Saclay), philosophe et chroniqueuse (MGEN, Usbek & Rica, Futuramed Nehs). Elle se spécialise sur l’impact des techniques et des technologies – son adaptabilité biologique, comme les interactions homme-machine ou cerveau-machine mais également celle culturelle, portant sur l’ensemble des outils technologiques susceptibles de modifier les usages, les valeurs, du corps humain.
Dans ses ethno-fictions, elle présente les nouveaux modes decommunication à l’aune des grandes innovations de notre ère numérique, entre corps physique et corps digital, le dit “phygital”, au sujet de l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, les objets connectés, l’e-textile, le futur du soin/ santé… toutes questionnant les enjeux, les contours et les limites de tels projets.
Ethno-fiction
J. N. se prête à un exercice à la fois ethnographique et fictionnel, déclenche la fiction au cœur des sociétés, pour aborder un futur finalement très différent et très semblable. L’ethnofiction possède les avantages de la prospection, au sujet de techniques et/ou technologies qui sont en mutation permanente et laissent présager de “progrès”, sur lesquels nous nous interrogeons. La technique engage de facto les valeurs, la culture, les mythes; dès lors, qu’en est-il sur le plan de l’humain, de ses modes d’existence ? Le futur de la relation au cœur du parcours de soin/ de santé, transformé par les outils du numérique, entre professionnels de la santé, patients et laboratoires, engage un nouveau mode de communication, de nouveaux actes, un nouveau corps et de nouvelles définitions. Cette approche évoque l’interpénétration des mondes du rêve et de la réalité, le passage de la réalité et son actualisation de l’univers illimité des représentations ; enfin, le pouvoir capacitaire d’un “sapiens-expert” est en jeu , et son passage à l’action. L’élaboration d’une éthique de l’action devient nécessaire pour 1) modifier le comportement au mieux ; 2) accompagner les actions entreprises, solutions, choix ; 3) stimuler l’inventivité et la créativité. Cette position liminale entre réalité scientifique et imaginaire, est audacieuse. Une telle exploration appelle alors inévitablement à l’imprudence, rappelant les mots du philosophe des sciences « dans le règne de la pensée, l’imprudence est méthode » (Bachelard, 1972 :11).
L’ethno-fiction n’est pas une image juste, mais juste une image, “parce que des idées justes, c’est toujours des idées conformes à des significations dominantes ou à des mots d’ordre établis, c’est toujours des idées qui vérifient quelque chose, même si ce quelque chose est à venir, même si c’est l’avenir de la révolution. Tandis que « juste des idées », c’est du devenir-présent c’est du bégaiement dans les idées, ça ne peut s’exprimer que sous forme de questions, qui font plutôt taire les réponses. Ou bien montrer quelque chose de simple, qui casse toutes les démonstrations.” (Deleuze, 1976)
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