Le transhumanisme

Evolution, cyberthéorie et transhumanisme _ ou théorie du cyber-anatomique (Nicogossian, 2013)

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(Il neige, tryptique, 2013)

« L’organisme humain est d’une inefficacité scandaleuse. Au lieu d’une bouche et d’un anus qui risquent tous deux de se détraquer, pourquoi n’aurait-on pas un seul orifice polyvalent pour l’alimentation et la défécation ? On pourrait murer la bouche et le nez, combler l’estomac et creuser un trou d’aération directement dans les poumons – ce qui aurait dû être fait dès l’origine… » (Burroughs, 1959)

On considère que l’homme n’est arrivé qu’à un stade préliminaire de son développement ; ainsi connaîtrons-nous prochainement sa version 2.00. Le terme « transhumanisme » est symbolisé par « H+ » (anciennement « >H »), souvent employé comme synonyme d’« amélioration humaine ». La croyance en l’émergence du posthumain et de l’hybride mi-homme mi-machine est la pierre angulaire des théories cyber. En 2002, la National Science Fondation publiait un important rapport intitulé Converging Technologies for Improving Human Performance auquel ont participé plus de 60 scientifiques. Chacun des articles contenus dans ce rapport vise explicitement l’optimisation de l’une ou l’autre des capacités humaines : mémoire, réflexes, sensibilité, résistance au stress ou force physique.

Les débuts des associations posthumaines remontent en fait encore plus loin, au milieu du XXe, avec la société des entropistes par exemple, et sont marqués par deux événements majeurs : la création de la World Transhumanist Association (WTA) et le rapport NCBI, qui est une élaboration futuriste de sociétés technocratiques à venir, dont le mot d’ordre est le progrès nanobiotechnologique, et qui pratique la convergence entre nanotechnologies, sciences cognitives, biologie et informatique (Roco, 2002)[2] On peut en effet y entrevoir une forme contemporaine de biopouvoir lequel constitue la domination diffuse qu’exerce le savoir (scientifique ou autre) sur les individus qui s’y auto-assujettissent. Dans une société où la performance et le dépassement de soi sont d’ores et déjà la norme, l’individu devient de plus en plus enclin à se façonner lui-même à l’aide de chirurgies, de musculation, de psychotropes, de diètes, etc. La voie s’ouvre ainsi sur des transformations corporelles beaucoup plus radicales comme celles proposées par les chercheurs membres de la WTA. Fondée en 1998 par deux philosophes, cette association regroupe actuellement 4000 chercheurs militant en faveur d’une amélioration radicale du corps par le biais des technosciences. Non seulement ces chercheurs interrogent-ils, à l’instar des théoriciens de la métaphore du corps humain en tant que cyborg, des distinctions telles que homme/femme, humain/machine ou nature/artifice, mais ils ambitionnent également le remodelage concret du corps humain (Robitaille, 2008 : 108), dans une forme de nouveau principe plastique, le « cyber-anatomique ».

« Certains y voient une refonte ontologique radicale, les nouveaux constituants élémentaires étant le bit, l’atome, le neurone et le gène (d’où le slogan du « little b-a-n-g »), ou encore une sorte de version ultime du rêve de maîtrise absolue par l’homme de la nature, la nature incluant cette fois tout, y compris l’homme lui-même. » (Handler, 2009). Plus prosaïquement, ce projet de convergences technologiques permet également à l’Europe la promotion des synergences scientifiques, rassemblant toutes les disciplines. Les enjeux politiques en sont clés. Ainsi la publication du rapport américain (NBIC) a décidé l’Europe à s’exprimer elle aussi à propos des possibilités ouvertes par la perspective d’une synergie scientifique, technologique et économique destinée à donner vie à la société du futur. Dans le rapport du 2004 de la Commission européenne, Converging Technologies – Shaping the future of european societies, la notion de convergence s’élargit à d’autres dimensions : Nano – Bio – Info – Cogno, mais aussi Socio – Anthro – Philo – Geo – Eco – Urbo – Orbo – Macro – Micro – Nano. Tout en considérant que « la vie quotidienne dans l’avenir des sociétés européennes sera informée par la convergence des technologies » (Nordmann, 2004).

Qui sont-ils?
Ce sont des théoriciens, des chercheurs ou des artistes présentant de grandes ambitions pour le futur des biotechnologies qui proposent les bases théoriques, empiriques et techniques de l’hybride (pour en citer quelques-uns: Cariani; Warwick; Roco; Stelarc, Massumi et al.; Mitchell; Dartnall; Kurzweil) ; ils prennent comme point de départ des textes précurseurs philosophiques ou scientifiques, se basant sur une idée mécaniste de l’Homme-Machine (La Mettrie, 1748) ; ou sur une approche phénoménologique des sciences cognitives _ qui seraient anti-cognitives pour Merleau-Ponty ayant défendu la conscience, le monde et le corps humain respectivement en tant qu’objet percevant, et mutuellement engagés (Merleau Ponty, 1976) ; ou ils partent de l’idée cybernétique de conquête de l’espace de l’homme, et devant s’adapter à un nouvel environnement (Gray, 1995; Clynes & Kline, 1995 [1960]). L’émergence des formes cybernétiques posthumaines, illustrée chez l’homme d’aujourd’hui, peut mener à des fantasmes de réunion symbiotique entre l’homme et son ordinateur (S. Mann), les incarnations cybernétiques radicalisent alors la désincarnation corporelle, et inaugurent la réincarnation du corps de l’homme dans la machine, ou réciproquement l’humanisation de la machine dans le corps de l’homme fragmenté et recomposé.

Le philosophe Max More fondateur de l’institut Extropy a introduit le terme de transhumanisme dans son sens moderne, et en rédige ses principes philosophiques, avec son épouse Natasha Vita-More, conférencière, designer et transhumaniste. Pour tous, le processus du progrès technologique a démarré lentement, puis connaît une évolution exponentielle. Cette augmentation exponentielle fut rapidement nommée “La loi de Moore” (Moore, 1965), qui est en fait une conjecture, a été exprimée par un ingénieur de Fairchild Semiconductor, un des trois fondateurs d’Intel. Gordon Moore constate que la complexité des semiconducteurs proposés en entrée de gamme doublait tous les ans à coût constant depuis 1959, date de leur invention, il postule donc la poursuite de cette croissance. Dans un article controversé Ray Kurzweil étend la loi de Moore à l’évolution de l’intelligence artificielle et l’histoire de la technologie en rupture avec l’histoire de l’homme dans l’émergence du corps hybride et de la fusion entre “intelligence biologique et non-biologique” (Kurzweil, 2001) : il propose un concept de la singularité technologique, selon lequel, à partir d’un point hypothétique de son évolution technologique, la civilisation humaine sera dépassée par les machines – au-delà de ce point le progrès ne deviendra plus l’œuvre que d’intelligences artificielles. Il induit des changements tels que l’environnement que l’Homme d’avant la Singularité ne peut ni les appréhender ni les prédire de manière fiable (Vinge, 1993; Kurzweil, 2005). Pour de tels théoriciens, le momentum de la singularité hybride se rapproche, encourageant les réflexions préliminaires suivantes chez ses adeptes : premièrement, comment la nature même de « l’expérience » humaine pourrait-elle changer une fois qu’une intelligence non biologique se sera imposée ? Deuxièmement, quand le programme fort de l’IA et les nanotechnologies pourront créer à volonté n’importe quel produit, situation, environnement, quelles seront les implications pour la civilisation « humain-machine » ?) – effectivement le concept des retours accélérés (Kurzweil, 2001) nourrissent ces théories du posthumain qui suppriment toute frontière entre vivant et inanimé, là où « les circuits intégrés fonctionnent exactement comme les bactéries ou les mammifères » (Pracontal, 2002 : 89). Les transhumanistes, d’une tradition humaniste post-séculaire, proposent de redessiner de façon plastique l’homme suivant un ensemble {humain; posthumain} réinscrivant les dichotomies cartésiennes du normal/pathologique, corps/esprit, dans la recherche d’une extension de la longévité humaine, grâce aux technologies (Agar, 2007). On parle alors de cyborguisation, dans une terminologie transhumaniste prônant les convergences de technologies célébrant la naissance de l’hybride. Les méthodologies positivistes cyberthéoriques tentent de codifier une éthique des systèmes robotiques sur comment améliorer l’intelligence artificielle par une réflexion philosophique, afin de promouvoir, ou non, des systèmes informationnels de valeur cyborg, faisant écho aux valeurs des systèmes « anthropo-technologiques ». Pour soutenir le postulat philosophique du posthumain, l’homme hybridé doit accepter une sorte de déterminisme technologique, qui a aussi de bons côtés, comme celui de dépasser l’opposition entre nature et culture, genre et sexe, comme le défendent le philosophe allemand P. Sloterdijk ou le transhumaniste N. Bostrom (Bostrom, 2005) ; tous deux s’enthousiasment de ce type de transformations liées au devenir déterministe hybride.

En corollaire, les recherches théoriques et pratiques gravitent autour d’organismes universitaires comme l’University of Reading (Warwick, 2002), le Tsuyama National College of technology (Onishi, Arai et al., 2003), le Massachussets Institute of Technology (MIT) a organisé en mai 2007 un colloque réunissant 900 participants, « Human 2.0 – new minds, new bodies, new identities », l’APL, la Singularitry University qui forment les spécialistes de la NBCI, la conférence LIFT à Genève s’interroge chaque année sur les effets de la technologie, les transformations du corps humain, etc. De même, des organisations militaires financent massivement ces recherches, et plus particulièrement celles de l’augmentation des capacités humaines, des sciences cognitives, de la neurologie et de la robotique (Vinge, 1993; Brooks, 2002; Roco, 2002; Stock, 2002; Coker, 2004; Kurzweil, 2005). Si certains s’interrogent encore sur le progrès scientifique et le potentiel réel des sciences technologiques à changer l’espèce humaine, au sujet du caractère autoévolutionniste, comme par exemple à la conférence Art of the biotech era, où le directeur des actes du colloque interroge : « est-ce que l’évolution de la forme humaine est possible ? Si c’est possible, est-ce que l’évolution du corps humain est nécessaire ? Si c’est possible, est-ce qu’elle doit être assistée par les humains eux-mêmes ? » (Pandilovski, 2008, notre traduction) ; d’autres artistes affirment déjà la transformation performative du corps : « Nous sommes en train de générer une nouvelle espèce homo pour laquelle l’extension de la vie est un des composants » (Moura & Pereira, 2004, notre traduction). En 2013 Google devient un architecte majeur de la révolution NCBI en parrainant la Singularity University, il soutient activement le transhumanisme; alors que Ray Kurzwel, le pape du transhumanisme, est lui-même embauché par Google en tant qu’ingénieur en chef afin de faire du moteur de recherche la première intelligence artificielle de l’histoire. Début 2013 Microsoft signe le développement des interfaces haptiques en ligne ce qui donne le coup de départ du Cybersexe, le branchement de l’auto-érotisme en interface cerveau-machine, nécessitant un ordinateur, un casque oculaire et une combinaison.

L’accès matérialiste à l’éternité
L’augmentation hybride, dans son projet d’autoévolution, continue de véhiculer le mythe de la transcendance éternelle du corps humain [8], symptômes religieux, car révélateurs d’une recherche d’éternité. On retrouve ce discours d’éternité en cybernétique, où le cyborg est l’homme amélioré qui accède à la vie éternelle grâce au matérialisme des techniques, et qui se prolonge dans l’au-delà d’un possible après-jugement dernier (qui marque de toute façon, dans une terminologie judéo-chrétienne, la fin de l’espèce humaine et des structures bio-socio-culturelles que l’on connaît sur terre, pour adopter une nouvelle structure et organisation du « paradis » biosociétal de l’ange). Alors, si l’hybride devient une solution méliorative de l’homme, que fait-on de l’homme non hybride ? Il est repensé en terme axiologique d’infériorité, dans la relation homme-hybride, déficient face aux systèmes de normes nouvelles : plus lent, moins intelligent, son corps est moins résistant, ses informations sont transmises de façon moins rapide, ses moyens de communication sont pauvres ; il est moins apte à survivre dans les nouvelles conditions d’environnement technoscientifique. De l’homme augmenté, le tout corporel a été manipulé, il acquiert des propriétés mélioratives pour vivre plus longtemps, plus capable, plus éternel, plus fort, plus « beau » – au regard de toute une série de critères normatifs –, plus fonctionnel, pour être plus fort, plus véloce, pouvoir voler. Et, pour ce faire, les technologies et techniques bioniques, neuronales et génétique assurent la transformation salvatrice du corps. Le topos du prolongement de l’espèce humaine, sous l‘angle d’une terminologie matérialiste, serait donc le corps hybride, la « techno-nature » (Simondon, 1989 [1958]; Citton, 2005).

Le Human Brain Project, projet de recherche de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, qui s’occupe d’une simulation du cerveau humain sur des super-ordinateurs, qui a notamment reçu le prix de un billion d’euros de l’Union européenne en janvier 2013, afin de comprendre les mécanismes fonctionnels du cerveau humain et d’être capable d construire un cerveau artificiel _ lance d’autres projets scientifiques nous emmenant vers une civilisation transhumaniste…. En 2013 certains des travaux de University of Antarctica font jour, sympathisants des transhumanistes parle du Projet Lazarus, ils sont déjà en cours, dans le but non seulement de télécharger la conscience d’une personne sur un support non organique, mais également de faire revenir des morts à la vie, pourvu que l’on dispose d’informations suffisantes sur leur cerveau et sur leur vie.

Dès lors, selon les imaginaires, un Jugement dernier aura lieu ou non entre les humains non-augmentés et ceux augmentés, l’espèce humaine ayant obligatoirement et prochainement à faire face à une sorte de tri. Ce dernier combat aura lieu de façon plus ou moins radicale. Tantôt elle disparaîtrait de la surface de la terre – Vinge par exemple présage la fin relativement imminente de l’espèce humaine : « dans trente ans, nous aurons les technologies nécessaires pour créer des intelligences super-humaines. Très rapidement, après cet événement, l’ère humaine sera terminée » (Vinge, 1993). Tantôt elle deviendrait esclave de l’intelligence artificielle – Bostrom introduit le concept de « risque existentiel » défini en tant que « risque existant quand une issue adverse soit annihilerait la vie intelligente originaire de la Terre, soit réduirait de façon permanente et drastique son potentiel » (Bostrom, 2005)[9]. D’autres, enfin, assurent pouvoir continuer de vivre en toute harmonie entre « augmentés » et « non-augmentés », sans générer des guerres de pouvoir génocidaires (Warwick).

Pour G. Stock, et en dépit de sa sympathie pour le mouvement transhumaniste visant à redessiner l’humain, il faut être sceptique quant à la faisabilité technique et l’appel massif en faveur de la cyborguisation. Pour lui, la technique d’augmentation du posthumain sera génétique, plutôt que cyborguisation bionique du corps : d’ici le XXIe siècle, beaucoup d’humains se retrouveront profondément liés à des systèmes de machines, mais resteront biologiques. Pour Stock, les réels changements de notre forme et notre caractère, en tant qu’humain, ne viendront pas des transformations du « cyberware », mais de la manipulation directe génétique, du métabolisme, et de la biochimie (Caplan, 2002). On hésite entre l’« homme clone » et l’« homme bionique » (Legre, 2007b).

Si, pour l’informaticien M. Resnick, il est primordial de développer une « éthique de simulation » dans laquelle les principes de décentralisation et d’émergence sont requis à parler les choses « suffisamment vivantes » (Turckle, 1998), pour le moment l’élaboration scientifique du posthumain est encore sous étude scientifique. Effectivement, avant de décider du sort de l’humain, de façon plus prosaïque, le posthumain attend encore quelques paramètres assez importants, propriétés artificielles, comme celle d’émergence, la vie spontanée, ainsi que de la parole spontanée (sur lesquelles des informaticiens et roboticiens comme Resnick et Brooke du MIT travaillent), mais aussi d’une pédagogie éducative (Turckle, 1998) ; R. Picard, codirectrice du département « Things that think » (en français « Les choses qui pensent »), travaille sur l’analyse et le codage exhaustifs des expressions du visage afin d’améliorer les communications homme-machine (Aziomanoff, 2007), etc. On attend également beaucoup de la modélisation du cerveau et d’une découverte exacte de ses zones cérébrales. Etc. etc.

Argument médico-scientifique
L’ouvrage de vulgarisation scientifique de Pracontal (Pracontal, 2002) concernant les chances réelles de « l’homme-prothèse » semble déjà bien désuètes : non seulement beaucoup de progrès ont été fait en matière de prothèse, même si l’expression demeure violente, mais il existe de plus en plus d’interfaces améliorant les fonctions humaines, la mémoire, l’intelligence, la vélocité de calcul et le déplacement à travers l’espace (le réseau), la résistance temporelle et matérielle ; de même les composants implantables, pour ne pas parler d’organes (artificiels), sont interchangeables, à souhait. Ces pratiques scientifiques axent leurs recherches au niveau de l’amélioration biotechnologique du corps humain, parlant parfois d’une version 2.0 de l’humain, et d’autres fois anticipant une version 3.0 prévue pour 2030 (Kurzweil, 2005). En cybernétique, la grande fréquence d’apparition de corps cyborg entraîne des ruptures épistémologiques récurrentes avec le corps humain, signant l’avènement de nouvelles unités d’humain, de post-humains (Cariani, 1991; Brooks, 2002; Mitchell, 2003; Warwick, 2003; Kurzweil, 2005), et ceci grâce à l’intervention déterminée des biotechnologies. De tels constat sont soutenus par des énoncés relatifs performatifs au mythe de la technologie, suivant l’axiome « Nous sommes tous des Stelarc maintenant » (A. et M. Kroker dans Smith, 2005), ou « nous sommes en train de devenir des cyborgs ! » (Kurzweil, 2004). La reconnaissance unanime de la capacité d’imaginer et de la créativité est fondamentale dans la science et la technique : « La devise des chercheurs de la société informatique américaine Xerox est : la meilleure façon de prédire ce que sera demain, c’est encore de l’inventer » (Maestrutti, 2006).

Les pratiques d’augmentation plastique du corps de l’homme se généralisent à tous les secteurs de la médecine, cybernétique et chirurgie plastique. La transformation du corps de l’homme est déjà effective, des personnes sont raisonnablement appelées « cyborgs », Oscar Pistorius, Aimee Mullins, Jesse Sullivan, « le premier homme bionique » du professeur T. Kuiken du Revolutionizing prosthetics, le Rehabilitation Institute Chicago du département du Pentagone DARPA, et Claudia Mitchell, sa « première femme bionique », ou encore les implants et nouveaux systèmes hybrides de Kevin Warwick, « I, cyborg ». Le Pr Warwick met au point de nouveaux systèmes d’hybridation conjuguant ces techniques, une sorte de nouvelle bionique utilisant des cerveaux biologiques clonés sur des systèmes robotiques (voir son projet 2008 du Rat Brain). Leur différence réside dans la nature du corps handicapé à reconstruire, contre le corps « normal » à augmenter. Ces corps précurseurs de la bionique, les premiers dans l’histoire de la médecine plastique et neurologique et de la cybernétique sur l’homme, ont été branchés à un appareillage externe utilisant les interfaces hybrides humain/machine, ou encore plus spécifiquement celles du cerveau/machine. Le laboratoire Clinatec, centre de recherche biomédicale multi-projets orienté sur l’élaboration de traitements innovants pour les maladies cérébrales et neurodégénératives, issu d’un partenariat entre le CEA, le CHU de Grenoble et l’Inserm, se retrouvent pour développer “la médecine régénérative”. Là-bas, le “patient volontaire” (date de départ arrêtée à février et mars 2013) se voit implanter, de façon assez invasive, dans le cerveau des nanotechnologies chargées de le guérir. De même ce laboratoire relance les études de la stimulation cérébrale profonde, par implantation d’électrodes dans le cerveau pour y envoyer du courant électrique de haute fréquence, qu’avait entrepris le physiologiste hispano-américain Delgado des années 1940 aux Etats-Unis avec son “stimoceiver”. Sur le plan éthique la neurostimulation apparaît en position liminale entre outil au service de la maladie d’Alzheimer et véritable outil de contrôle, pouvant être utilisée pour modifier la pensée et/ou le comportement. Delgado s’est intéressé ensuite à la stimulation éléctro-magnétique, moins invasive, rebaptisée récemment stimulation magnétique transcrânienne (Snyder, Devlin, Persinger), évoquant la possibilité de contrôler tous les cerveaux à distance (Persinger, 1995).

L’omniprésence du posthumain parlant le rapport de l’homme avec la technologie souligne déjà un certain penchant en faveur d’une économie technoculturelle et en une transformation technoculturelle de la biologie du corps de l’homme. Si les discours qui défendent et promeuvent la vie artificielle (OGM, IA, IsHM) lient l’actualisation adaptative, impérative, de l’humain, aux nouvelles conditions technologiques de l’environnement naturel, industriel et technologique (pollution ; informatique ; vélocité électronique ; stock d’informations important ; conquête de l’espace ; etc.), il existe aussi toute une littérature éthique critiquant, observant, tentant de réguler cette vie artificielle encore expérimentale, bien qu’elle ait déjà des applications concrètes étendues à notre vie quotidienne, pour ne citer que les interfaces hybrides cerveau-machine, les RFID, les OGM par exemple. Comme le souligne à juste titre le philosophe des sciences Jean-Pierre Dupuy, le projet philosophique qui sous-tend les technosciences – projet stipulant que tout corps vivant est reprogrammable – produit un impact sur l’élaboration de normativités, sur ce qu’un humain devrait être. Nous traiterons les aspects de la cyber-critique dans une prochaine poste, défendant cette fois-ci la conscience et les valeurs humanistes de l’homme, à l’encontre du dépassement et/ou du prolongement de celui-ci dans la machine. L’approche biologique du corps humain retire l’esprit, l’âme et la pensée de son aspect gravitationnel, de son interaction métaphysique, aux choses aux sujets, à l’environnement, aux origines, à l’autre, à soi-même, réduisant l’esprit, l’âme, la pensée, le corps, la maladie à une fonction et à un symptôme. Ce qui conduit à la réification de l’humain, élément d’analyse particulièrement saillant dans cet univers hybride corps/techniques/technologies, au lieu de considérer le sujet dans son ensemble, et à tenir compte de l’intérêt du sujet pris dans sa globalité.


One response to “Le transhumanisme”

  1. Très intéressant. Le transhumanisme est un mouvement fascinant, inquiétant. Que deviendra notre corps demain avec toutes ces technologies implantables/ingérables …Merci!

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